Bertrand Tavernier et Madame de La Fayette ont choisi d'intituler leur œuvre La princesse de Montpensier bien qu’elles aient été révélé au public à plus de 300 ans d'intervalle. En effet la nouvelle de Madame de Lafayette est parue en 1662 et relate des faits historiques du siècle précédent tandis que l'adaptation cinématographique de Tavernier est sortie en 2010. En découvrant le nom du personnage éponyme le public s'attend à suivre la vie et les relations de la princesse de Montpensier. Cependant d'autres personnages revêtent un rôle important c'est le cas de « ce pauvre comte de Chabannes ». Pour répondre à la question : Chabanne est-il la colonne vertébrale du récit, nous verrons dans un premier temps la place qu'occupe Chabannes dans chacune des deux œuvres en tant qu'honnête homme puis dans un second temps nous analyserons les conséquences de la passion amoureuse sur ce héros tragique.

 La nouvelle s'ouvre sur le règne de Charles IX et les guerres de religion alors que le film diffère en présentant d'emblée in medias res le comte de Chabannes lors d'une bataille opposant catholiques et protestants. En effet, le contexte historique de la france est à la guerre : 8 guerres de religion entre 1562 et 1598 rythment la vie des Français avec à son apogée le massacre de la Saint-Barthélemy dans la nuit du 24 août 1572.  Bien que partisan des huguenots, Chabannes après s’être battu à leurs côtés, désertera la bataille après le meurtre d’une femme enceinte, plein de remords. Dans la nouvelle il abandonna le parti des huguenots par amitié pour le prince de Montpensier. Cette différence peut s’expliquer par l’influence du classicisme et de la règle de bienséance sur les œuvres du XVIIè siècle. Le film comble les silences et développe les non-dits, mais il faut garder à l’esprit que ces développements sont du fait de Bertrand Tavernier qui apporte sa vision contemporaine du XXIè s.

Chabannes n’est pas un personnage historique ; de ce fait, les auteurs sont plus libres pour retracer sa vie.

La nouvelle et le film insistent sur les liens d’amitié unissant Chabannes et le prince de Montpensier ; c’est ce dernier qui le sauve de la pendaison par des bandits de grand chemin dans le film, alors que la nouvelle justifie son renoncement au parti huguenot par cette amitié. La scène de reconnaissance, topos littéraire, entre le maitre d’armes et son élève nous informe davantage sur le personnage de Chabannes.

 En effet,  il confie au prince de Montpensier « je ne suis pas simplement ruiné je suis proscrit j'ai déserté » tout comme il confiera plus tard à la princesse ses questionnements : «  comment des hommes de même sang issus de la même foi peuvent s’entretuer pour le même Dieu ? » Ces paroles montrent que Chabannes est un homme capable de réflexion et de remise en question bien qu'il soit également tourmenté. Toutefois Chabannes n’est pas qu’un renégat c'est également un ami fidèle et un confident.

C’est un honnête homme selon la définition du XVIIè s, un homme vertueux, élégant, érudit, qui manie l’éloquence mais sans excès, doté d’excellentes manières et sachant évoluer en société.  Chabannes est à la recherche d’une harmonie entre l’âme et le corps ce qui est davantage mis en lumière dans la nouvelle puisque plus synthétique. Erudit, il possède de vastes connaissances puisqu’il devient même le précepteur de la Princesse à la demande de son mari. Il lui apprend le latin, l’astronomie, les langues mais aussi l’écriture. Ce dernier point est davantage mis en évidence dans le film puisque cet apprentissage devient un élément déclencheur des péripéties par l’écriture des lettres qui circulent entre De Guise et la Princesse. Il est donc chargé de compléter l’éducation de la Princesse afin qu’elle brille en société « A la cour, tout le monde imite, imitez » lui déclare-t-il dans le film. Il parvient à faire d’elle une femme du monde appréciée non seulement pour sa beauté mais aussi pour son esprit « il la rendit en peu de temps l’une des personnes du monde la plus achevée » nous précise Mme de Lafayette. De plus Chabannes est un ami fidèle pour ses compagnons ; il devient peu à peu le confident de la princesse et même un entremetteur en se chargeant de la correspondance secrète entre la princesse et le duc de Guise, son amant. Il est également le confident du Prince de Montpensier, informant celui-ci sur les goûts de son épouse après 2 ans d’absence mais aussi de Guise qui se reposera sur lui pour organiser des rendez-vous secrets avec la Princesse.

Chabannes est donc la cheville qui relie les personnages. Mais cet honnête homme a des failles qui vont le transformer en héros tragique.

A force de côtoyer la Princesse dans son intimité, il devient son confident et succombe à son charme et à son esprit. « Il devint passionnément amoureux » lit on dans la nouvelle. Le film reprend la même idée « Tout ce bonheur quotidien je m’en suis aveuglé. J’aurais dû fuir ». Il dissimule son amour pendant un an mais il ne peut se résoudre à le cacher plus longtemps. Dans les deux œuvres, on assiste à cet autre topos littéraire, la scène d’aveu. Chabannes avoue son amour à la Princesse. Cependant sa réaction lui infligera une immense douleur qu’il ressentira jusqu’à la fin de sa vie. En effet, l’attitude de la Princesse à son égard lui cause une terrible souffrance « il trouva en elle une tranquillité et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs à quoi il s’était attendu ». Elle ne le juge pas digne d’être aimé du fait de son rang inférieur. « Il pensa mourir à ses pieds ». Cette passion et ces tourments sont dignes des tragédies raciniennes. Le comte sera sans cesse éprouvé. Dans la nouvelle de nombreuses hyperboles décrivent cette douleur extrême. Le film va plus loin en le présentant comme un être qui a déjà souffert. « c’est que vous avez peu souffert » dit il à la Princesse quand elle évoque son amour passé pour le duc de Guise. C’est donc un être tourmenté, un honnête homme qui a des failles. Madame de Lafayette comme Racine souligne les dangers de la passion dans un but moralisateur, visée qui n’est pas présente dans le film.

A l’instar des héros tragiques, il se sacrifie, sacrifice particulièrement perceptible à la fin du récit quand il fait croire au Prince que le rendez vous secret dans la chambre de la princesse était avec lui et non le duc. « il se résolut par une générosité sans exemple de s’exposer pour sauver une maitresse ingrate et un rival aimé. » Le narrateur prend délibérément parti pour l’abnégation de Chabannes en désignant le prince et la princesse par des périphrases qui font sens aux yeux de Chabannes. Son désespoir et sa honte ne cessent de s’accroître jusqu’à envisager la mort. Son sacrifice est d’autant plus poignant qu’il va jusqu’à servir d’entremetteur en facilitant les amours de la princesse et du duc et en portant ses lettres au duc. »je ne veux pas priver de sa satisfaction une personne que j’adore » déclare t il dans la nouvelle. Son désir de la voir heureuse l’emporte et il devient alors indispensable. En facilitant un amour adultère il perd de son honnêteté car il trahit le prince et là encore Mme de Lafayette souligne les conséquences de la passion sur nos actes. Dans le film il porte souvent des lettres aux uns et aux autres, ce qui met l’accent sur un motif récurrent du film, la lettre. 

Enfin, sa souffrance et sa mort violente parachève la tragédie. Dès les premiers affres de sa passion pour la Princesse jusqu’à sa mort il ressentira une terrible souffrance, souffrance traduite par la métaphore du poison.

Ainsi la passion est peintre comme source de douleur intense et non de plaisir. Elle aveugle la princesse qui ne se rend pas compte du mal qu’elle fait.

Le comte de Chabannes n’est pas récompensé de ses sacrifices, il meurt seul et de façon extrêmement violente.

Sa mort est brièvement évoquée « ils le massacrèrent cette même nuit si funeste à tant de gens ». Le prince passe par différents sentiments en découvrant son corps pour éprouver finalement de la joie à l’idée d’être « vengé par la fortune ». Le film par contre le montre très attristé et en larmes. Le narrateur prend pitié de ce personnage en utilisant le verbe « massacrer »qui a une forte résonnance. Ses anciens choix religieux le rattrapent et son sort rejoint celui d’autres victimes de cette nuit qualifiée à juste titre de « funeste ». Ces mots peuvent aussi souligner la forte désapprobation de l’auteure devant tant d’horreurs commises. Dans le film la vision du corps ensanglanté resté sur place souligne l’absurdité de tout le sang versé dans ces luttes fanatiques et revêt donc une portée contemporaine. Chabannes a donc une fin tragique comme il a vécu : il a aimé sans être aimé, se sacrifie sans que son sacrifice soit reconnu. Il meurt seul, tué sauvagement lui qui toute sa vie a fait preuve d’élégance et de délicatesse.

La douleur de la princesse en revanche est immense bien qu’elle l’ait négligé très souvent. « elle ne put résister à la grande douleur de l’avoir perdu , le plus parfait ami qui fut jamais ». Le film montre en gros plan à quel point sa mort la choque et la chagrine. La disparition du comte fait donc partie des causes du décès de la princesse.

Dans le film cependant le comte meurt l’épée à la main tel un seigneur au lieu de se faire « massacrer », en défendant une femme enceinte ; il répare ainsi ses fautes passées. La musique qu’on entend est religieuse et Tavernier parle « d’expiation ». Le prince lit à son épouse la lettre trouvée sur le corps de Chabannes « Princesse très chère Marie enfant si je prends aujourd’hui la liberté de vous écrire comme j’ai pris celle de vous aimer… » Cette lettre d’amour et d’adieu, entendue en partie en voix off est une prophétie de l’abandon de Guise. Le film commence et s’achève sur ce personnage, Marie étant agenouillée sur sa tombe. Le paysage hivernal reflète la tristesse de cette fin.

Conclusion

Le comte est donc un personnage essentiel presque aussi important que la princesse elle même, qu’il accompagne et ne cesse d’aimer. Il est ainsi l’un des fils conducteurs du récit.

Représentation vivante de l’honnête homme il provoque l’admiration du lecteur et du spectateur par sa bonté. Ses qualités d’exception sont soulignées dans les 2 œuvre